Une faute d’orthographe que seuls les plus de 50 ans repèrent : révélateur d’un vrai fossé générationnel

Dans une classe de troisième d’un collège de l’Essonne, une professeure a décidé de tester l’œil de ses élèves. Le principe était simple : une dictée, datée de 1965, dans laquelle s’est glissée une erreur volontaire. Vingt-huit copies ont été rendues. Une seule élève a identifié la faute. Un constat saisissant, mais qui prend tout son sens lorsqu’on apprend que la même dictée, soumise à des adultes nés avant 1970, révèle une bien meilleure capacité à détecter cette subtilité grammaticale.

Alors, que s’est-il passé ? Et surtout, que nous dit cette expérience sur l’enseignement du français aujourd’hui ?

Une simple faute… ou un révélateur d’oubli collectif

La faute en question portait sur l’emploi du subjonctif après l’expression « il faut que ». Une règle pourtant considérée comme basique il y a quelques décennies. Mais pour une majorité des élèves d’aujourd’hui, le subjonctif semble être un vestige du passé. Claudine M., ancienne correctrice du brevet, l’explique sans détour : « Seuls ceux nés avant 1967 trouvent cette erreur. Chez les plus jeunes, le subjonctif est devenu un mode presque oublié. »

Ce constat n’est pas anecdotique. Il révèle un glissement progressif des priorités éducatives. Alors que le français occupait autrefois près de 40 % de l’emploi du temps hebdomadaire au collège, cette part s’est réduite au fil des réformes. Résultat : des bases fragilisées, des conjugaisons mal maîtrisées, et des modes comme le subjonctif relégués au second plan.

Une chute du niveau en orthographe alarmante

Les chiffres sont clairs. Selon la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), en 2021, 90 % des élèves de CM2 faisaient au moins quinze fautes dans une dictée de soixante-sept mots. En 1987, ce taux n’était que de 33 %. Une hausse spectaculaire, qui coïncide avec la perte d’environ 522 heures de français entre 1968 et aujourd’hui dans les programmes du primaire et du collège.

Autrement dit, les élèves ont moins de temps pour apprendre, mais aussi moins de rigueur dans l’apprentissage. Ce ne sont pas seulement les modes verbaux qui s’effacent, mais les accords élémentaires eux-mêmes. Les enseignants peinent à suivre le rythme des programmes, contraints d’avancer sans toujours pouvoir poser des fondations solides.

Un changement de méthode pas sans conséquences

Depuis les années 2000, l’enseignement du français a adopté des approches plus « vivantes » et contextualisées. L’analyse grammaticale rigoureuse a été en partie remplacée par des méthodes centrées sur le sens, le texte, l’expression personnelle. Le but était noble : rendre la langue plus accessible, plus ancrée dans la réalité. Mais ce changement a aussi eu un effet pervers. Moins de tableaux de conjugaison, moins de repères fixes, et donc une maîtrise moins systématique des règles.

Une étude menée à l’Université du Québec à Montréal a d’ailleurs montré que 72 % des erreurs commises par les futurs enseignants portaient sur les accords complexes, notamment entre les phrases. Si même ceux qui forment les élèves rencontrent des difficultés, c’est que le problème dépasse le simple cadre scolaire : il touche à la transmission même des savoirs.

Vers un retour aux fondamentaux ?

Alors, faut-il revenir aux dictées quotidiennes, aux leçons de grammaire répétitives et aux cahiers recouverts de conjugaisons ? Pas nécessairement. La plupart des experts appellent plutôt à un équilibre. Réintroduire des moments d’enseignement explicite, proposer des « dictées commentées » où l’on explique collectivement les fautes, augmenter le temps consacré à la lecture de textes littéraires… Ce sont autant de pistes pour réconcilier les élèves avec la langue.

Mais pour cela, encore faut-il disposer du temps nécessaire. Tant que le français partagera ses heures avec des projets interdisciplinaires ou des activités transversales, la reconstruction des bases restera difficile. Il ne s’agit pas d’opposer ancien et nouveau, mais de reconnaître qu’un socle solide est indispensable à toute expression écrite de qualité.

Une langue, une mémoire collective

L’histoire de cette petite faute oubliée illustre bien plus qu’un simple manque de rigueur grammaticale. Elle symbolise un effacement progressif de notre mémoire linguistique collective. Elle pose aussi une question cruciale : quelle place voulons-nous encore accorder à la langue française dans la formation des générations futures ?

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